Never forget !

Paris, vendredi 13 novembre 2015




de Joann Sfar

Vous avez dit "Inspiration" ?

Un lecteur : Où trouvez-vous votre inspiration ?
Moi : Euh… qu’entendez-vous pas « inspiration » ?
Un lecteur (le même, bien sûr) : Ben… vos idées, elles viennent d’où, vos idées ?

Je vais essayer d’être claire sans décevoir… Je ne crois pas à l’inspiration. Je n’y crois pas parce que je ne me ressens pas comme un réceptacle dans lequel une sorte de souffle divin viendrait parfois se déverser et me conférerait, selon sa volonté, le pouvoir d’écrire des histoires ou me laisserait au contraire, pantelante, devant une page blanche. Je n’y crois pas, parce que je ne n’en ai jamais fait l’expérience. Pour qu’un texte apparaisse enfin à l’horizon de mon imaginaire, il faut qu’une dynamique se mette en place entre mes souvenirs, mes émotions, mes ressentis, mes lectures passées, mes textes anciens, et des mots, des mots, des mots… Et c’est justement dans l’écriture que ce mouvement enthousiasmant apparaît…

 Pour mon album « La princesse à la plume blanche », par exemple. Premier ingrédient : mon enfance. Ou plutôt, les lectures de mon enfance. On m’avait offert un livre « Contes de Grimm et d’Andersen ».Ma bibliothèque n’étant pas très garnie, je l’ai lu et relu pendant des années. J’ai été marquée, tatouée à la structure narrative des contes traditionnels. Plus tard d’ailleurs, j’ai fait mon mémoire d’Ecole Normale sur ce sujet. Mon conte préféré : Blanche Neige. Le destin de ce personnage me fascinait. J’aimais que l’on parle d’elle avant sa naissance… sa mère espérant avoir une fille au teint de neige et aux lèvres couleur de sang… Une enfant attendue mais pourtant… C’est un conte assez noir, quand on y pense. La mère disparaît, la belle mère est terrifiante, une biche est sacrifiée, un sombre complot déjoué, une pomme empoisonnée, et finalement, ce cercueil de verre pour qu’on puisse admirer la beauté de la jeune fille jusque dans la mort…

Deuxième ingrédient : les paons blancs des îles Borromées, sur le lac Majeur en Italie. Quand ils me sont apparus, au sommet d’un escalier, entre deux colonnades antiques, je suis restée saisie. On les aurait crus en argent. Leur blancheur les a tout de suite placés dans ma tête, au centre d’un univers fantastique.



Troisième ingrédient : un documentaire sur la vie d’une femme de Maharaja, au tournant de l’indépendance de l’Inde… On y voit des palais, des jardins et surtout, un pavillon de lecture au milieu d’un lac… mmmm…quel beau décor cela ferait...

Ensuite ? Ensuite, c’est du tricot, de la broderie, de la couture… J’assemble, je tisse, je découds, je recommence… Bref, c’est tout sauf passif. C’est du travail, quoi… Quand je dis aux enfants, que les idées, tout le monde en a, que ce n’est pas avec ça que l'on fait les bonnes histoires, je vois bien qu’ils ne me croient pas. Ils aimeraient voir en nous, les auteurs, des êtres d’exception, des élus qui transcrivent sur le papier ce que l’inspiration, la fameuse inspiration, leur a soufflé. Il existe peut-être des écrivains pour qui cela se passe ainsi... je n'en fais pas partie... voilà, c'est dit...