Ce n'est pas si simple...

 A Bruges, près de Bordeaux, j'ai rencontré des classes qui ont travaillé sur Bagdan et la louve aux yeux d'or. J'avais conseillé aux maîtresses de travailler sur les émotions ( voir article ci-dessous). Elles avaient peu de temps, la situation sanitaire complique beaucoup les choses dans les écoles. 

Et savez-vous ce que ces élèves ont découvert ? D'abord qu'un même passage du texte ne réveille pas forcément les mêmes émotions chez chacun d'entre nous. Comment en sont-ils venus à cette conclusion? La maîtresse leur a demandé de dessiner un passage du texte qui les a touché-e-s. Elle leur a ensuite proposé de poser leur dessin sur une affiche ( sérénité, peur, soulagement, inquiétude etc...). Ils on ensuite débattu de leurs choix. Ce que j'en ai entendu lors de ma visite était passionnant. Un même passage figure sur plusieurs affiches ! Certains étaient heureux de la rencontre entre Bagdan et la louve, mais beaucoup avaient très peur de ce qui allait se passer. 

Autre découverte : les émotions, les sentiments sont parfois ambigus, complexes. On ne peut pas leur coller une seule étiquette. Un lecteur peut être à la fois soulagé mais quand même encore inquiet pour un personnage. Heureux que l'histoire se termine bien mais éprouver regret ou tristesse, notamment ici parce que la louve a été tuée. 

Je trouve cela particulièrement fort. Chacun, chacune, colore un texte de ses propres attentes, de son propre vécu. Chacun, chacune déploie le texte à sa façon, lui donne une nuance qui lui est toute personnelle. Une nouvelle façon d'affirmer encore et encore qu'un texte n'est rien sans la force que lui confère le lecteur, la lectrice. L'interprétation d'un texte n'est pas univoque. Bien sûr, il peut y avoir des contresens mais globalement, chaque enfant qui entre dans un texte va y choisir son chemin et il en a le droit. J'offre un paysage, je le tisse, l'organise, j'y sème des cailloux, des indices mais le lecteur est seul maître de ce qu'il y cherche et de ce qu'il y trouvera. Et c'est très bien comme ça ! 


Pour le plaisir des yeux, voici quelques dessins ...














Du côté des ados...

 Je ne pensais pas que cela arriverait un jour, mais voilà, je l'ai fait. J'ai enfin écrit un texte destiné aux ados. Entre 13 et 90 ans, je dirais, puisqu'il faut toujours donner une fourchette d'âge. 




La falaise raconte un été bien particulier dans la vie de Charlotte, un de ces étés qui vous changent à jamais. Un article du  journal local précipite sa famille dans une tourmente inattendue. Quand elle était enfant, Rose, la mère de Charlie a été abusée par son professeur de violon. 

On m'a demandé pourquoi j'avais fait de mon héroïne un témoin et non la victime. Tout est là. Ce choix, je l'assume et je suis très touchée que les éditions du Muscadier aient compris cette volonté. J'en ai déjà parlé sur ce blog, quand on raconte, tout est question de cadrage, de regard. J'avais envie de me mettre dans la tête d'une jeune fille de quinze ans qui découvre la violence d'un prédateur mais aussi l'irresponsabilité et l'inconséquence de certains adultes. Car enfin, pourquoi ceux qui savaient n'ont-ils rien dit ? C'est sa colère à elle qui m'intéressait. Ses hésitations, ses erreurs.  

Charlie est amoureuse de Pablo. Il est beau, tendre, pas macho pour deux sous. Ils se retrouvent sur la falaise et c'est un doux plaisir.  Mais leur relation va être secouée par tout ça.  Il va falloir s'accrocher. S'aimer. Beaucoup. Etre solidaires et courageux. 

Et quand, une nuit, la falaise s'effondre, Charlie comprend que rien ne sera plus comme avant. Son paysage intérieur a subi un cataclysme. Elle en sait désormais beaucoup plus sur la vie, sur les gens et surtout sur elle-même. Mais elle a dû payer le prix. 

De juin à Septembre, elle passera par toutes sortes de sentiments, toutes sortes d'émotions. Elle enrage, se révolte, culpabilise et quand la mort rode, elle découvre une peur encore inconnue, une peur de grande personne. 

Quand j'étais enfant, je me souviens de la colère que j'éprouvais quand ma mère me racontait comment elle avait été traitée par certains de ses employeurs. J'aurais voulu leur hurler ma haine. Ils avaient fait ça à ma mère ! Et pourtant, ce n'était rien comparé à ce qu'a subi Rose. C'est ce sentiment que j'ai voulu exprimer dans mon texte. Ce sentiment que j'ai installé dans le coeur de Charlie. Etre impuissante quand la révolte bouillonne en vous, c'est quelque chose ! Ca vous trace des chemins, ça vous bâtit des murs. Il en faut des murs, parfois, ça protège. Mais après, il faut avoir la force d'abattre ceux qui sont de trop, ceux qui vous empêchent d'avancer, qui vous cachent la beauté du monde. C'est un sacré pari de savoir faire la différence entre les murs dont on a besoin et ceux qui sont toxiques. Ca peut prendre une vie. 

J'espère que mes jeunes lecteurs et lectrices aimeront Charlie et Pablo. Moi, je les chéris de tout mon coeur. 

J'ai dédié ce livre à celles qui ont parlé et à celles qui se sont tues. Bien entendu...

Merci à Bruno Courtet, directeur des éditions du Muscadier et à Christophe Léon, directeur de la collection " Rester vivant ". Oui, merci. 


Pour en savoir plus, vous pouvez cliquer sur ce lien  et découvrir les premières pages. Allez, hop ! 

 


Que d'émotions !

 Récemment, j'ai pris conscience d'une chose essentielle. Enfin, quand je dis que j'en ai pris conscience, c'est sans doute exagéré, comme formulation. Ce que je veux dire, c'est que cette réalité que je pressentais, dont je rêvais même, eh bien je l'ai touchée du doigt. Voilà, cela tient en une phrase : ce que j'écris procure des émotions. 

Oui, je sais, ça parait bêta mais même si je m'applique à faire entrer les lecteurs et les lectrices dans la peau de mes personnages, même si je tente de les mettre un peu sur le grill, si je les perds dans des déserts ou des montagnes, si je les mets face à des réalités difficiles, effrayantes ou cocasses, même si cela occupe une part essentielle de ma vie, rares sont les enfants qui ont su l'exprimer de façon claire. Forcément, au fil du temps, j'ai entendu des " ça m'a fait peur" ou " ça m'a donné envie de pleurer", ou des " qu'est ce qu'on a ri!". Mais rares sont les classes qui ont trouvé un terme générique à tout cela. Rares sont celles et ceux qui ont prononcé ou écrit le mot " émotion". 

A la Magdelaine sur Tarn, les classes de CP et de CE1 ( oui, oui, ils ne sont pas grands !) ont lu plusieurs de mes albums et ont tenté de mettre des mots sur ce qu'ils ont ressenti. Cela a donné lieu à la production d'affiches qu'ils m'ont présenté avec beaucoup de ferveur. Quand on parle émotions, on parle de soi, on parle de ce qui se passe lors de la lecture, au plus profond de son être. On parle d'âme, de choix, de lien, d'amour, de tendresse. C'est à la fois fort et doux. et ce qui m'a bouleversée, c'est qu'ils ont posé comme postulat que je l'avais fait exprès. Que c'était voulu. Que ça ne devait rien au hasard. Que c'était mon travail, mon écriture qui les avait amené-e-s là, sur ce terrain aussi fertile qu'inquiétant. 

Que cette expérience en fasse de bons lecteurs, de fines lectrices ! Je le souhaite du fond du coeur ! Que ces émotions découvertes et nommées fassent d'eux, fassent d'elles, des humains empathiques et curieux des autres. Si je pouvais, ne serait-ce qu'un peu, par mes textes, les mener à cela, je n'aurais pas écrit pour rien.








Dans ces classes, les enfants ont tenté d'élucider ce qu'ils appellent " les messages", ce que j'ai essayé de leur dire. Par exemple, concernant les rêves d'Ima. 




Une petite fille de 7 ans prend la parole : 

- Nous avons compris, que dans cet album, votre message est qu'il faut que chacun trouve son chemin. 

J'écoute, un peu tremblante. Je remarque les yeux humides de la maîtresse. 

- Oui, dis-je. Tu m'as bien lue. 

- Alors, j'ai une question à vous poser...

- Je t'écoute.

- Et vous? Avez-vous trouvé votre chemin? 

Je ne me souviens plus vraiment ce que j'ai répondu. J'ai parlé du chemin qui m'avait mené jusqu'à elle. Il y avait dans l'air comme un bonheur partagé. Je n'oublierai jamais cette classe, cette question, cette fillette.

Merci.