Il y a questions ... et questions...

J'en ai déjà parlé ici. Lorsque je rencontre des classes, je réponds très volontiers aux questions préparées par les enfants. On me demande comment je colle les images sur les pages, comment je fais les couvertures, si je gagne beaucoup d'argent et mille autres questions parfois saugrenues, naïves, indiscrètes et même parfois, inquiétantes car elles révèlent une insondable absence de travail préalable à ma venue.
Mais parfois, rarement, il faut bien le reconnaître, j'entre dans une classe et je sens une attente autre. Comme un espoir d'en savoir plus. Non sur moi mais sur mes histoires et surtout sur mes personnages. Dans ces classes-là, on se moque que j'écrive à la main ou sur un ordinateur. Dans ces classes-là, on a travaillé un album comme on travaille un champ. On a retourné chaque motte, tracé des sillons et on a bien compris que les textes lus sont des lieux d’enracinement pour une culture en construction. Alors évidemment, tout est intéressant. Tout. Parce que dans ces classes-là, on sait que chaque élément d'un texte a une fonction. Prenons par exemple cette question, au sujet de " La poupée de Ting-Ting"  :

À quoi servent les détails comme le chapeau, les petits bols en argile ?

Personne n'a eu l'idée de s’intéresser à cet aspect du texte. Et pourtant, ces jeux de petites paysannes en disent beaucoup sur l'univers dans lequel cette fillette évolue. Ils révèlent sa solitude, bien sûr mais aussi la pauvreté et le dénuement dans lequel elle vit. Ils montrent aussi une enfant autonome, débrouillarde et sensible, digne héritière des gestes habiles de son père disparu. On comprend alors à quel point la vente des poupées, pierre d'achoppement du récit, est vitale pour la famille.

J'ai toujours pensé que les gestes, les attitudes que je prête à mes personnages permettent de comprendre leurs émotions bien plus que les mots des émotions eux-mêmes. Dire "Il est en colère", n'éclaire quasiment pas le ressenti du personnage. C'est pour cette raison que les questions qui restent trop en surface, ne permettent pas aux enfants de devenir de vrais lecteurs. Elles sous-entendent que le texte dit tout. Mais c'est un leurre. Non, le texte suggère, ouvre des pistes, des chantiers mêmes parfois. C'est au lecteur de le déplier, à la façon d'un pop-up. C'est l'activité mentale intelligente et perspicace qui déploie le décor, l'histoire, les personnages. Remarquer que cette petite fille s'amuse à se fabriquer une dînette avec la boue de la rizière, c'est mieux la connaître, c'est entrer dans sa vie, dans sa tête, dans son coeur. C'est LIRE.


" Pour qu'une chose devienne intéressante, il suffit de la regarder longtemps", disait Flaubert.

Je suis heureuse que mes albums puissent être le terrain de cette merveilleuse expérience.

J'ajoute que, bien entendu, rien de tout cela ne serait possible sans la compétence et l'exigence de ces enseignants formidables qui,  pétris de la volonté de hisser leurs élèves vers la connaissance, savent les guider en mettant en place des débats, des échanges autour des textes lus. Bravo à eux. Ils tissent notre avenir.

Et pour le plaisir, voici quelques autres questions posées ce jour-là, dans la classe de Cathy V, toujours au sujet de "La poupée de Ting-Ting".



Est-ce qu’en jouant, elle a oublié plus que sa poupée ? A-t-elle aussi oublié son chagrin ?

Est-ce que sa peur de parler à sa maman, c’est que se serait rendre la mort de son père réelle ?

Pensez-vous qu’exprimer son chagrin, même à un arbre, c’est important ?

Le plus important, c’est d’avoir retrouvé sa poupée ou d’avoir exprimé son chagrin ?

Pourquoi a-t-elle honte d’avoir perdu sa poupée ?

Quel est le rôle du buffle dans l’histoire ?


Est-ce que le héron représente la nouvelle vie de son père ? Est-ce que c’est sa réincarnation ?