De la solitude de l'autrice... ou pas...

On est bien seule quand on écrit. 

Oh, bien sûr, il y a nos personnages. Ils nous accompagnent, c'est vrai, nous emmènent parfois dans des coins perdus de nous-mêmes, et cela y compris quand nous écrivons pour les tout petits. Il arrive que nos personnages nous guident, nous indiquent les chemins où ils aimeraient se perdre. Mais nous sommes seuls aux manettes. Nous sommes le capitaine Nemo de notre sous-marin. Et quand nous fermons notre ordinateur, personne ne nous console, personne ne nous encourage, personne ne nous félicite. On envoie notre travail à une maison d'édition et on attend...

Je me suis souvent demandé ce que cela ferait d'écrire à deux ou à plusieurs. Il y a longtemps, j'ai connu cette expérience dans l'atelier que je fréquentais. C'est là que j'ai découvert en quoi consiste cette mystérieuse négociation autour du texte : Ce que j'accepte de modifier sans difficulté parce qu'au fond, cela n'a pas d'importance ou au contraire, ce sur quoi je ne veux pas lâcher. Ce sont certains détails qui recèlent en réalité tout l'enjeu du texte que je n'avais pas forcément identifié jusque là. Ces petites choses semées au vent du récit, qui lui donnent son ossature. Mais à l'époque, les situations que les animateurs de l'atelier nous proposaient n'étaient que des exercices, c'est bien normal. Des gammes indispensables à délier notre imaginaire mais qui n'avaient pas grand chose de personnel. 

Trente ans après, alors que j'ai pris mes habitudes d'écriture, mes tics même sans doute, je croyais que je ne pourrais plus écrire avec quelqu'un. Cela dépendrait peut-être du quelqu'un en question, vous me direz, et vous auriez peut-être raison. Mais c'est une activité qui reste, à mes yeux, profondément solitaire. J'ai l'impression que je me lasserais de cette négociation, justement. Je la pratique souvent déjà avec les éditeurs ou éditrices et cela me suffit. On s'y agace, on s'y use parfois. C'est surtout avec moi-même que j'aime entrer en discussion. Et dieu sait si cela peut être douloureux pourtant. Je parle souvent de cela aux adultes ou enfants qui m'interrogent. C'est un peu comme si j'avais un Jiminy Cricket perché sur l'épaule qui pointerait son parapluie vers mon écran et me demanderait en soulevant son chapeau: " Il est indispensable, cet adjectif ?" ou, plus grave : " Il sert à quoi, ce texte, au fond ?"


Et puis voilà qu' il y a deux ans environ, mon ami Régis Lejonc (qui a illustré deux de mes albums), me propose une chose folle. Je dis chose, parce qu'à ce moment là, je ne savais pas comment nommer ce dont il est question ici. En résumé: nous serions 9 auteurs et autrices et chacun-chacune aurait à écrire la vie d'une princesse, une fillette-fille-femme sans cesse réincarnée en quelque sorte. Les lieux, les époques étaient donnés, ainsi qu'une image, belle l'image, vous vous en doutez, vu le talent de l'artiste. 

Ma mission ( et je l'a acceptée) : écrire un conte qui constitue le point de départ de notre album, qui introduise, les autres vies de notre héroïne.
L'image montrait une silhouette effrayante, un homme-chat mystérieux, une jeune femme attendrie et ... un bébé !



Mais pour que mes compagnes et compagnons d'écriture puissent faire revivre cette petite princesse, il fallait la faire mourir. Bien triste tâche pour l'autrice que je suis ! J'ai déjà connu cette angoisse. Parler de mort aux enfants... Jamais simple mais indispensable...

C'est inouï d'écrire en frissonnant, je vous assure. Ecrire en ayant peur pour son personnage. D'autant qu'à ce moment là, je ne savais rien encore des autres histoires, celles que Annie Agopian, Fred Bernard, Anne Cortey, Alex Cousseau, Anne Jonas, Henri Meunier, Cécile Roumiguière et Thomas Scotto écrivaient de leur côté.

Nous avons écrit puis nous nous nous sommes retrouvés... et pas n'importe où! Chez François Mauriac, ou du moins, en son chalet de St Symphorien, transformé par la Région en résidence d'artiste. Nous avons ri, cuisiné, chanté mais surtout travaillé.

Je ne suis pas près d'oublier mon trac au moment de lire mon histoire à haute voix. Tout le monde autour de cette grande table, écoutant, concentrés, le texte sous les yeux, le stylo à la main... Et mon soulagement, de découvrir, en relevant la tête, les visages souriants de toute l'équipe.
Nous nous sommes dit, en toute franchise, avec beaucoup de douceur et de gentillesse, de fermeté même parfois, ce que nous pensions du travail des uns et des autres. Et j'ai adoré. Adoré entendre, adoré formuler... critiques, réserves ou suggestions. Mais j'ai surtout aimé cet incroyable exercice d'admiration mutuelle auquel nous nous sommes livrés.
Je sais maintenant que les neuf vies de Gaya sont bien extraordinaires. Et cela me bouleverse.
Quel voyage dans le temps, quelles aventures... Ah oui, tiens, c'est peut-être ce mot là que je cherchais : AVENTURE !

Merci Régis de m'avoir enrôlée dans ta belle troupe ! Et merci à Little Urban de nous accompagner avec autant de professionnalisme et de générosité.

Reste maintenant à faire vivre ce magnifique album.

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MERCI !