L’autre jour, mon amie Vaty qui fut mon ange gardien
lors du salon de Mirande, dans le Gers, me posait cette question :
« J'aimerai
savoir ce que tu éprouves quand tu découvres à sa sortie, un livre qui est ton
"enfant" et que tu as longuement "couvé". »
En réalité,
j’aimerais bien le savoir aussi, Vaty. Si je tente un inventaire des sentiments
qui m’animent à ce moment-là, je suis à peu près certaine d’en oublier. Pour
prendre une image gourmande, c’est un sacré mille-feuilles.
D’abord,
bien sûr, il y a le plaisir. Mais un plaisir, au fond, que je connais depuis l’enfance.
Celui, sensuel, de coller mon nez au creux de la reliure pour humer le papier neuf. Un
plaisir de bonne élève qui aime la rentrée des classes parce que la grisaille
des vacances pauvres va s’estomper enfin pour laisser place au bonheur de
découvrir, d’apprendre.
Ensuite,
vient, je crois, une grande satisfaction. We did it ! Nous y sommes
arrivés. Mon texte a été retenu par un éditeur qui en reçoit des centaines
chaque année. L’illustrateur ou l’illustratrice a accepté de créer des images
qui vont dialoguer avec ce que j’ai écrit et elles sont magnifiques (j’ai
toujours eu une chance folle de ce côté-là). Le travail d’édition s’est bien passé,
le choix de la couverture, du format, du papier, de la maquette, bref, toute
une série de professionnels de la profession se sont donné du mal pour que le
livre existe. Et ça, c’est absolument épatant !
Quelque part
ensuite, il y a aussi une grosse pincée d’incrédulité. Au fond, je n’en reviens
toujours pas. C’est moi qui ai écrit ça ? Mais quand ? Comment ?
Le problème avec l’écriture, en ce qui me concerne en tout cas, c’est qu’elle
suspend le temps. Alors parfois, j’ai du mal à me souvenir de la période durant
laquelle j’ai écrit un texte. Quelques difficultés particulièrement saillantes
me restent en mémoire. Mais peu en réalité. C’est un labour. On ne se souvient
pas de chaque motte de terre...
Et puis il y
a ce méchant sentiment d’illégitimité. Qui suis-je pour oser prétendre écrire ?
Mais pour qui je me prends, à la fin ? Ils vont s’en rendre compte. Un
jour, un éditeur, un libraire ou un confrère écrivain va me taper sur l’épaule
pour me dire : « Stop ! Tu t’es bien amusée mais la récréation
est terminée ! » C’est mon intense fragilité. Ce qui m’empêche de
profiter complètement du moment où j’ouvre le carton, du moment où je vois mon
livre sur un présentoir...
Vient
ensuite le couple étrange « espoir/inquiétude ». L’un ne va pas sans
l’autre. L’espoir seul serait l’expression d’une naïveté déconcertante. Bien
sûr, j’espère que ce livre sera aimé. D’un amour à plusieurs étages, façon
fusée interplanétaire. Aimé par ceux que j’aime parce que j’adore lire de l’admiration
dans leur regard. Cela me réconforte et me donne du courage. J’espère aussi qu’il
sera apprécié par ceux qui connaissent bien la littérature de jeunesse. Les
libraires, les confrères auteurs, certains blogueurs...et bien sûr, je voudrais
que les enfants l’aiment. Je ne suis pas très fans des formules du type «
allumer des étoiles dans les yeux des enfants ». Le monde merveilleux de l’enfance
a du plomb dans l’aile par les temps qui courent. Non, j’espère juste que les
gamins vont accepter de faire un bout de chemin avec mes personnages. Qu’ils aient
un peu peur, qu’ils soient contents pour eux et qu’ils restent dans leur tête
quelque temps...
Quant à l’inquiétude,
c’est le miroir trouble et déformant de tout ça. C’est tellement triste quand
un livre ne se vend pas. Quand on refait du papier avec CE papier-là.
Tu vois,
Vaty, c’est compliqué. Complexe plutôt. La métaphore de la grossesse et de la
naissance vient souvent à l’esprit, c’est vrai. Mais je ne m’y retrouve pas
vraiment. S’il m’arrive de parler de mon dernier album comme de mon dernier
bébé, c’est par paresse ou fatigue. Je n’ai pas choisi la couleur des yeux de
mes enfants, ni la forme de leurs lèvres. En revanche, chaque mot de mon texte
publié a fait l’objet d’une négociation féroce avec moi-même ou parfois avec l’éditeur.
Et même si l’inconscient frappe souvent à la porte, j’en ai voulu chaque
virgule, chaque mot, chaque retour à la ligne.
Voilà Vaty,
je te remercie pour ta question, comme on dit à la télé. Tu m’as obligée à
clarifier certaines choses emmêlées et obscures.
Je t’embrasse
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire